Benoît Basse
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Philosophie
Recensions de livres
J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Le Procès des droits de l’homme
Restituer la spécificité de chacun des courants critiques à l’égard des droits de l’homme, telle semble être la tâche inévitable devant précéder toute éventuelle « refondation » de ces droits fondamentaux. Cela n’empêche pas de souligner parfois quelques convergences partielles – et inattendues – entre certains auteurs (Bentham et Comte, Marx et Burke). Mais les auteurs font ici le pari risqué, et selon nous fort contestable, selon lequel la pensée d’Hannah Arendt constituerait un terrain fécond pour repenser la légitimité des droits de l’homme.
Michael Sandel, Justice
Bien plus qu’un simple cours, cet ouvrage nous semble destiné in fine à conduire insensiblement le lecteur vers l’une des principales options philosophiques de Sandel, à savoir l’impossibilité selon lui de traiter des questions de justice indépendamment de celles portant sur la vie bonne, contrairement à ce qu’affirmait John Rawls. L’enjeu est donc bien la viabilité du projet libéral lui-même et son présupposé selon lequel la loi se doit de rester parfaitement neutre vis-à-vis des diverses conceptions du bien. Sandel reprend à son compte un problème que d’aucuns pouvaient croire définitivement tranché : « Une société juste a-t-elle pour tâche de promouvoir la vertu des citoyens ? Ou bien la loi qu’elle se donne se doit-elle de rester neutre et ne pas trancher entre les conceptions concurrentes de la vertu, de sorte que les citoyens puissent, pour eux-mêmes, choisir librement la façon de vivre qui leur semble la meilleure ? » Reste à savoir si l’on peut, comme le pense Sandel, défendre la première option sans remettre gravement en cause l’exigence de liberté individuelle constitutive des sociétés démocratiques.
Michel Terestchenko, L’ère des ténèbres
La « guerre sainte » et sans frontières que mènent les djihadistes contre « le monde des ténèbres » se déploie selon la logique manichéenne d’une lutte à mort où chaque camp prétend incarner le Bien et voit dans l’autre la figure du Mal. Comment en sortir ? Dans cet essai, Michel Terestchenko nous introduit au cœur de ces dynamiques de violence exponentielle, qui se développent jusque dans notre pays, et nous donne les moyens d’exercer notre responsabilité de citoyen afin qu’elles fassent enfin l’objet d’un débat public.
Yves-Charles Zarka, Jusqu’où faut-il être tolérant ?
On connaît le problème classique de la tolérance. Il est en vérité celui des nécessaires limites à assigner à ce principe : où situer le seuil au-delà duquel l’ouverture à la différence, à la diversité, risque de mettre en péril les principes fondamentaux des sociétés démocratiques ? On peut à bon droit se demander si le vocabulaire de la « séparation » et du « déchirement » n’exprime pas de façon excessivement abrupte ce que le libéralisme politique, depuis John Locke au moins, s’est toujours contenté de reconnaître comme une légitime diversité, dès lors qu’elle reste compatible avec les lois de l’Etat. Sans doute Zarka veut-il à juste titre souligner le caractère définitivement illusoire de tout projet visant à restaurer ce qu’il nomme la « vie en commun » des sociétés passées, fondée sur une culture unique. Mais pourquoi ne pas se contenter d’invoquer avec John Rawls le « fait du pluralisme » ou encore le « pluralisme raisonnable » consubstantiels de toute démocratie digne de ce nom ? Une telle dramatisation est-elle vraiment justifiée ?
Torbjörn Tännsjö, Taking Life. The Theories on the Ethics of Killing
À première vue, l’interdiction de tuer un être humain semble bien constituer l’intuition morale fondamentale, et par conséquent la plus largement partagée parmi les hommes. Qu’on le fonde sur un ordre divin, une loi morale édictée par notre raison ou une tendance résultant de l’évolution biologique des espèces, l’impératif « tu ne tueras point » ne s’impose-t-il pas en effet solennellement à toute conscience morale digne de ce nom ? Pourtant, à y regarder de plus près, force est de constater que l’immense majorité d’entre nous n’est certainement pas prête à accorder à cet impératif une valeur universelle et inconditionnelle.
Torbjörn Tännsjö, From Reasons to Norms
Constatant que de nombreux auteurs contemporains semblent se focaliser davantage sur les « raisons pratiques » des individus (T. Nagel, J. Raz, D. Parfit, T. Scanlon, J. Dancy) que sur le concept d’obligation, Tännsjö s’efforce de montrer qu’il convient, en philosophie morale, d’accorder un primat aux normes. La pluralité des « raisons » invoquées a en outre, selon l’auteur, l’inconvénient de suggérer qu’il existerait de multiples sources de l’obligation morale, correspondant aux différents types de raisons pratiques et pouvant le cas échéant entrer en conflit. Or il conviendrait, au contraire, de ne pas confondre les raisons pratiques permettant d’expliquer et de « rationaliser »
les actions humaines d’une part, et les normes morales proprement dites permettant de répondre à
la question « que faut-il faire ? ». D’où le recours à une distinction très nette entre raisons « humiennes » (composées d’une croyance et d’un désir) et raisons morales, à la faveur de laquelle l’auteur affirme qu’il n’existe qu’une seule et unique source de normativité en morale.